Bilbao, les charmes de la renaissance

Actualités - 06 nov. 2025

Certes, Bilbao n’est pas Florence et n’a pas connu son heure de gloire au XVe siècle. Mais cette ville basque, longtemps dans l’ombre d’autres cités espagnoles, a traversé des crises majeures au XXe siècle pour renaître et entrer dans la lumière. Celle-ci montre les charmes évidents de ses contrastes entre les bâtisses historiques du Casco viejo et l’architecture moderne, voire futuriste du quartier Ensanche-Abandoibarra, qu’on ne saurait résumer à l’emblématique musée Guggenheim sur les méandres du fleuve estuaire Nervion. Ainsi les mots « résilient » et « inspirant », galvaudés comme éléments anomiques de langage par le mauvais marketing, prennent-ils tout leur sens à Bilbao.

Bilbao n’est pas Florence et elle n’est pas non plus Phoenix en Arizona, mais elle pourrait être surnommée ainsi, en référence à l’oiseau fabuleux renaissant toujours de ses cendres. En l’occurrence, celles de la ville espagnole ont été produites par la fermeture entre 1974 et 1995 des hauts fourneaux de Biscaye situés sur ses collines dont elle extrayait massivement du fer exporté via ses chantiers navals. Le déplacement de ces derniers, autre moteur économique, à la fin du siècle, sur l’une des rives bordant l’estuaire sur la côte Atlantique quelques kilomètres plus loin, a amplifié la crise socioéconomique intra-muros, même si l’agglomération a gagné en activité avec l’agrandissement considérable de la zone portuaire.

La renaissance de Bilbao survient au cours de ces décennies funestes, en réaction à l’inondation catastrophique du 26 août 1983, d’une ampleur inégalée depuis cinq siècles, provoquée par une goutte froide. Ce phénomène météorologique extrême fait tomber 500 litres d’eau par mètre carré en seulement 24 heures, après des averses déjà intenses les jours précédents. Les pluies torrentielles font descendre d’énormes quantités d’eau des collines qui entourent la ville, dont les ponts sont submergés au-dessus du Nervion, fleuve et estuaire (son eau y est salée et ses effluves iodés). Le niveau de l’eau atteint plus de deux mètres - une plaque dans le quartier historique rappelle ce sinistre record -, les commerces sont noyés, les infrastructures essentielles (électricité, eau potable et télécommunications) sont gravement endommagées. Outre le terrible bilan humain (plusieurs dizaines de morts au pays basque), les pertes économiques sont colossales avec des dommages estimés à près de 200 milliards de pesetas (environ 1,2 milliard d’euros). Un immense élan de solidarité s’organise alors.

Cette crise majeure choque profondément les consciences, conduisant les autorités à appliquer le sens étymologique du mot crise : changement, transition. La création de la Surbisa, agence de réhabilitation urbaine, et d’un plan municipal, donne un cadre pour rebâtir la ville dans le cadre d’un chantier ambitieux et visionnaire. Rebâtir pour avant tout se prémunir de futures catastrophes, entretenir le quartier historique et en créer un nouveau résolument tourné vers l’avenir. Ainsi, en quelques décennies, Bilbao a-t-elle renvoyé au passé son image négative pour acquérir celle d’une ville dynamique et attractive, tant pour les entreprises que pour le tourisme, comptant de nombreux atouts dont l’un est son climat tempéré toute l’année. Comme un symbole de sa résilience. 

Un plaisir des yeux permanent pour les amateurs d’architecture

Le quartier Ensanche-Abandoibarra est aussi l’emblème de la renaissance de la ville dont il est le cœur battant. À la fin du XIXe siècle, les ruelles étroites du Vieux Bilbao étaient en effet trop petites pour accueillir tous ses habitants, et il a fallu l’agrandir en faisant un saut de l’autre côté du fleuve Nervion. C'est ainsi que l’Ensanche (agrandissement) émergea, sur la plaine d'Abando et avec lui la Bilbao moderne. La Gran Via, artère principale qui la traverse, est jalonnée de places pittoresques, dont celle dite Circulaire, avec la statue de D. Diego López de Haro, fondateur de la ville en 1300, où se trouve l’Office de Tourisme. Le quartier Ensanche-Abandoibarra compte de beaux bâtiments patrimoniaux. Citons le majestueux palais de la Députation ; le plus modeste palais Chávarri de style éclectique, avec ses fenêtres toutes différentes et une toiture spectaculaire ; et le Théâtre Campos Eliseos (1902) à la façade spectaculaire d’art nouveau. En arpentant les agréables avenues et rues, on est séduit par ses immeubles bourgeois aux façades souvent élégantes et remarquables dont l’hétérogénéité stylistique ravira tous les amateurs d’architecture. On y en trouve ainsi en de nombreuses enfilades aux contrastes saisissants des façades aux géométries tranchées ou arrondies, de styles classique, basque endémique avec vérandas métalliques en encorbellement, art nouveau ou encore rappelant les villes anglaises, reliquats sans doute du glorieux passé lorsque les échanges commerciaux étaient nombreux entre Bilbao – pourvoyeuse de fer issu de ses mines ou de la laine de Castille chargés sur les bateaux de son port – et l’île britannique. A l’extrémité ouest de ce vaste quartier se trouve la partie moderne, voire futuriste, comptant notamment le musée Guggenheim, fameux dans le monde entier pour son architecture unique signée Franck Gehry (on est revanche en droit de moins goûter ses expositions d’art contemporain), l’élégante Tour Iberdrola haute de 165 mètres, record du pays basque, le complexe Isozaki Atea avec ses deux tours jumelles de 83 mètres au bord du fleuve. On y trouve aussi l’étonnant bâtiment Artklass, à côté du musée des Beaux-arts de Bilbao, deuxième plus grand d’Espagne (derrière l’incontournable Prado de Madrid), qui associe les arts ancien, classique, moderne et basque. Actuellement fermés pour rénovation, les lieux bordent le parc Doña Casilda.

Vers le centre du quartier Ensanche-Abandoibarra se trouve le bâtiment de l'Alhóndiga (Azkuna Zentroa). Cet autre site emblématique du renouveau moderniste de Bilbao abritait autrefois un entrepôt de vins. Suite à sa transformation réalisée par le créateur français Philippe Starck, ce centre d’art contemporain et de loisirs est devenu un lieu culturel de référence dans la cité. Les trois bâtiments qui composent ce nouvel espace culturel reposent sur 43 colonnes conçues par le scénographe italien Lorenzo Baraldi. Le style différent de chacune évoque la diversité des cultures de l’humanité.

Quelques minutes de marche suffisent pour aller admirer la belle église du Sacré-Cœur édifiée en contraste étonnant de briques rouges et pierres blanches. Enfin, à l’extrémité est du quartier se trouve les successives et très proches gare d’Abando avec son grand vitrail de 300 panneaux, et gare de la Concordia avec sa belle façade art déco, visible depuis l’autre rive du Nervion, dans le quartier historique.    

Monuments emblématiques, pintxos, belvédère et plage

Appelé el casco viejo (littéralement le vieux quartier), celui-ci est traversé de rues et de ruelles typiques de la péninsule ibérique, de jolies places animées ou calmes selon l’heure de la journée… ou de la soirée car nous sommes en Espagne, telles que la plaza nueva carrée avec ses arcades, la plaza Miguel Unamuno et son immeuble rouge original et son grand escalier pouvant évoquer la place… d’Espagne à Rome, ou la plaza de Santiago devant la cathédrale du même nom (Saint-Jacques en français, patron de la ville). Celle-ci se visite avec un billet donnant aussi accès à l’église de San Anton de style gothique, même si sa belle façade est renaissance et son clocher baroque.

À ses pieds se trouve un haut-lieu des plaisirs de la chère : le marché de la Ribera (Mercado de la Ribera), centenaire en 2029, est l’un des plus grands marchés couverts d’Europe qui abrite aussi des restaurants où déguster des pintxos, ou tapas basques. Sa forme de navire et son emplacement sur les berges du Nervion, surmontées d’immeubles aux façades colorées, rappelle le riche passé fluvial de Bilbao. En longeant les quais pour revenir à l’entrée du quartier historique, on arrive sur ses deux monuments les plus emblématiques, tous deux œuvres de l’architecte municipal Joaquín Rucoba : le théâtre Arriaga d’abord, inauguré en 1890, inspiré de l’Opéra de Paris et doté d’une très belle salle de spectacle à l’italienne ; la mairie de Bilbao (Ayuntamiento) ensuite, réalisée dans le style Second Empire Français. Derrière sa façade séduisante, les somptueux intérieurs combinent l’inspiration néo-renaissance de la salle des conseils, du vestibule ou du corps d’escaliers et le splendide style néo-arabe du salon des réceptions, œuvre de l’artisan local José Soler. On doit aussi mentionner la bibliothèque de Bidebarrieta dont la façade éclectique déjà jolie est dépassée par la superbe salle de réunion dans ses murs de pierre ouvragée, ainsi que la surprenante façade de style régional de la gare d’Atxuri.

Reliés par des ponts et par la fameuse passerelle Zubizuri en forme de voile de bateau, et très bien aménagés avec des voies dédiées aux vélos et les fameux paseos pour les piétions et autres coureurs, les quais du fleuve (ria) sont les lieux de promenade privilégiés des Bilbayens comme des touristes, dont les cortèges ajoutent au sentiment plaisant de détente active régnant dans la ville.

Il est aussi recommandé de prendre de la hauteur en empruntant le funiculaire d'Artxanda qui, partant de la station située Funikularreko Plaza, emmène en trois minutes sur un belvédère remarquable offrant une vue panoramique de la ville, des collines environnantes et même de l‘océan Atlantique au loin. Pas si loin, en fait : un trajet en métro de vingt minutes depuis le centre-ville dépose à la ville de Getxo, pour y voir et traverser son pont transbordeur (le premier et le plus grand du monde) avant de flâner en toute saison sur sa plage…

Jérôme Alberola 

Visuels : © J.A

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